Recycler les eaux usées d’un bâtiment pour faire pousser des algues puis produire de l’électricité et de la chaleur : c’est ce que propose la jeune société Ennesys, avec un système automatisé, qui a remporté un prix européen. En octobre prochain, une première installation sera mise en place à la Défense, près de Paris. Comment ça marche ? Les créateurs de l’innovation l’expliquent à Futura-Sciences.
Des aquariums, installés sur les toits et les façades, peuvent rendre un bâtiment autosuffisant en énergie et même recycler l’eau. Le principe est simple : conduire des eaux usées (celle des toilettes, par exemple) dans un bassin où croissent des algues unicellulaires, qui se serviront de la matière organique comme nutriments. Ce bloom (amas gluant) est valorisable de plusieurs manières. De cette biomasse, on peut extraire de l’huile et en faire un biocarburant. La biomasse elle-même peut être brûlée dans une chaudière. Une troisième voie pourrait être la production d’hydrogène, grâce à une électrolyse de l’eau réalisée avec l’aide des réactions chimiques de la photosynthèse.
« Ces idées ne sont pas nouvelles, explique Pierre Tauzinat, président d’Ennesys, l’entreprise créée en 2010, qui va exploiter ce principe. Nous, nous sommes des intégrateurs. Ce que nous proposons est un système pour à la fois réduire les besoins en eau et en énergie. Avec des bassins placés sur les toits ou sur les façades, nous savons produire 120 kWH/m2/an. Pour les bâtiments, c’est une solution pour répondre aux exigences de la future norme RT 2020. » Cette Réglementation thermique 2020, qui remplacera la RT 2012, imposera à cette date que tous les nouveaux bâtiments aient un bilan d'énergie positif, c'est-à-dire qu'ils doivent produire au moins autant d’énergie qu’ils en consomment. De plus, pour le circuit d’eau, deux réseaux devront être réalisés, l’un étant réservé à l’eau potable et l'autre pour les eaux grises (destinées aux toilettes, à l'arrosage ou au nettoyage des voiries). Dès aujourd’hui, les professionnels du BTP réfléchissent à la façon de procéder. Un autre domaine pourrait être intéressé par cette technique : celui des centres d’enfouissements. Pierre Tauzinat affirme qu’un traitement par les algues peut réduire considérablement la quantité de lixiviat (le liquide résultant du pourrissement des déchets enfouis), dans la proportion de « 1 cm3 pour 1 m3 ».
Pour l’instant, le système fonctionne au laboratoire et il reste à réaliser un démonstrateur. Ce sera fait en octobre avec un bâtiment équipé à la Défense, près de Paris. Le système est automatisé, avec des bacs à parois transparentes (les photobioréacteurs) où se trouvent les microalgues et dans lesquels sont dirigées les eaux usées. Les algues unicellulaires sont choisies en fonction du climat local. « Nous jouons avec 5 ou 6 espèces, pour optimiser le rendement, explique Jean-Louis Kindler, le directeur scientifique. Dans un même lieu, sous nos latitudes, nous en utiliserons une l’hiver et une autre l’été. »
Avec cet apport nutritif, la biomasse algale double entre 24 et 48 heures. Des appareils automatiques déterminent la concentration en algues, le pH et d’autres indicateurs. Lorsque la population atteint la limite prévue, 25 à 30 % du bassin est prélevé et un volume égal d’eaux usées y est injecté. Un système de « flottation », à microbulles, sépare les algues de l’eau par un procédé venu des États-Unis et mis au point par OriginOil. Cette eau, qui a la qualité « eau de pluie », peut être réutilisée dans le circuit d’eau grise.
Les algues sont ensuite traitées, pour deux utilisations possibles : la fabrication d’huile et la récupération de la biomasse elle-même. L’huile peut servir de carburant à une génératrice à moteur diesel qui produira de l’électricité et de la chaleur. La biomasse peut elle aussi être utilisée pour fabriquer un carburant, type essence ou gasoil. « Dans les installations importantes, on peut brûler cette biomasse pour alimenter des petites turbines à vapeur pour produire de l’électricité, ajoute Jean-Louis Kindler. Dans ce cas, on peut aussi se servir de la température élevée de l’eau pour faire du froid avec une pompe à chaleur. Et sous nos latitudes, dans un bâtiment bien isolé, on a surtout besoin de froid. » D’après ce responsable, une telle installation peut produire 2 MW avec 15.000 m2 de façades équipées, ce qui permet de subvenir aux besoins d’un bâtiment professionnel de 50.000 m2. Le tout nécessite, en plus des photobioréacteurs, un local technique de 150 à 300 m2 selon la taille du bâtiment.
Pour Ennesys, pas de doute, cette solution est plus avantageuse que les panneaux photovoltaïques. « Nous n’avons pas besoin de soleil mais seulement de lumière », résume Pierre Tauzinat, pour expliquer que les bioréacteurs ne doivent pas être précisément orientés. De plus, le système produit aussi du carburant utilisable sur place et fournit une eau propre, directement réutilisable. Récompensé en 2011 par le prix KIC Climat de l’IET (Institut européen d'innovation et de technologie), le système cherchera à faire ses preuves dans le démonstrateur de la Défense. Quoi qu’il advienne, l’apparition d’une telle technologie illustre bien les évolutions radicales que va vivre le secteur du bâtiment dans les années à venir…
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